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Photo du rédacteurInstitut de la Transition Foncière

Restaurer les écosystèmes, une ambition européenne : analyse du règlement Restore

Dernière mise à jour : 18 sept.



  • Le règlement pour la restauration des écosystèmes, législation clé du pacte vert, a été adopté par les Etats membres au Conseil européen ce 17 juin 2024.

  • La restauration écologique est définie comme une action intentionnelle qui initie ou accélère l'auto-réparation d'un écosystème dégradé, endommagé ou détruit. 

  • 81% des habitats naturels européens sont actuellement en mauvais état et 70% des sols en mauvaise santé.

  • Le règlement vise à instaurer d’ici à 2030 des mesures de rétablissement des écosystèmes sur 20 % des terres et espaces marins, et de restaurer 30 % des habitats spécifiques en mauvais état. Des dérogations sont possibles dans le cadre de l’implantation d’énergie renouvelable, dans l’agriculture et pour les projets de défense. 

  • Nous préconisons de renforcer le modèle économique afin d’inciter et de compenser réellement les manques à gagner des acteurs concernés, de se centrer sur la refonctionnalisation des différents écosystèmes, et d’inclure des indicateurs et diagnostics sur le sol dans les contrôles des états de conservation, en lien avec la future directive Sol.   

Déjà validé par les eurodéputés au Parlement en février mais bloqué depuis plusieurs mois, le règlement pour la restauration des écosystèmes, législation clé du pacte vert, a été adopté par les Etats membres au Conseil européen ce 17 juin 2024. Cette législation a été qualifiée de « victoire historique » par l’ONG environnementale WWF, qu’en est-il ? 


  1. Restaurer des écosystèmes, de quoi parlons-nous ?


La restauration écologique, selon la Society for Ecological Restoration (SER), est définie comme une action intentionnelle qui initie ou accélère l'auto-réparation d'un écosystème dégradé, endommagé ou détruit, tout en respectant sa santé, son intégrité et sa gestion durable. Cette pratique vise à restaurer la biodiversité, le bon état écologique, et la qualité des paysages dans des milieux naturels, semi-naturels, industriels ou urbains. Cela nécessite une évaluation basée sur des indicateurs environnementaux. De manière générale, des résultats sont observables : une recherche effectuée sur 89 opérations de restauration écologique a montré une augmentation moyenne de 44 % de la biodiversité et de 25 % des services écosystémiques, bien que ces valeurs restent faibles comparées aux écosystèmes intacts [1]. Face aux changements planétaires tels que le réchauffement climatique et l'extinction des espèces, il est souvent impossible de revenir à un état antérieur de l'écosystème. Ainsi, trois approches sont proposées : se baser sur des écosystèmes indigènes vierges, utiliser des écosystèmes déjà modifiés par l'humain, ou bien créer de nouveaux écosystèmes. 


L’objectif premier dans le domaine environnemental est la renaturation, permise par des techniques de génie écologique. Si un milieu ne peut être auto-entretenu après une phase de restauration, une gestion conservatoire est souvent mise en place. Le "bon état écologique" est une valeur cible pour les programmes de gestion et de protection des eaux douces en Europe, selon la Directive cadre sur l'eau, et s'applique également aux milieux naturels et habitats sous l'appellation de "bon état de conservation" via les directives Oiseaux et Habitats-Faune-Flore en Europe. 


2. Contexte réglementaire, environnemental et international du règlement


Le règlement européen sur la restauration de la nature est une avancée majeure dans le cadre réglementaire et environnemental de l'Union européenne, bien qu’il réponde à des engagements déjà pris par l’Union et à des réalités environnementales alarmantes. Rappelons que, contrairement aux directives, les règlements sont directement applicables de manière simultanée et uniforme dans les législations nationales.


  • Le rapport de 2020 de la Commission européenne sur l'état de la nature [2a souligné que l'UE n'a pas encore réussi à enrayer le déclin des espèces et des habitats protégés et que 81% des habitats naturels européens sont actuellement en mauvais état et 70% des sols en mauvaise santé. Ce déclin est attribué, entre autres, à l'agriculture conventionnelle, intensive et spécialisée, à la modification des régimes hydrologiques, à l'urbanisation, à la pollution, ainsi qu'à des pratiques forestières non durables. 



Source : Agence européenne pour l’environnement, données pour la période 2013-2018, fondée sur les évaluations des habitats couverts par la directive “Habitats” de l’UE. 


  • Ce règlement s'inscrit dans le Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal porté par les Nations unies dans lequel l'UE s'est engagée à restaurer au moins 30 % des milieux naturels dégradés d'ici 2030. En outre, la décennie des Nations unies pour la restauration des écosystèmes (2021-2030) vise à intensifier les efforts pour éviter, enrayer et inverser la dégradation des écosystèmes.

  • Le règlement (UE) 2021/1119 [3] fixe, lui, un objectif de neutralité climatique d'ici 2050, mettant l'accent sur les réductions d'émissions et le renforcement des absorptions par les puits naturels, auxquels la restauration des écosystèmes peut grandement contribuer.

  • Enfin, il semble que les objectifs de préservation des milieux constituent une demande démocratique. Selon l’enquête de 2024 de l’Office français de la biodiversité, 95% des français considèrent qu’il est important voire crucial de se mobiliser pour la protection et la restauration de la biodiversité, et 86% estiment que leur quotidien et leur avenir dépendent de la biodiversité.



Source : Office français de la biodiversité, Harris interactive, mars 2024


En parallèle, des démarches de restauration sont déjà en cours à l’international et en Europe. Plusieurs pays ont lancé des initiatives ambitieuses pour restaurer et préserver leurs écosystèmes fragilisés, en voici quelques exemples :  


  • En Chine, les autorités forestières rapportent que 18,8 millions d'hectares de terres désertifiées ont été restaurés au cours de la dernière décennie, représentant plus de la moitié de l'objectif fixé pour lutter contre la désertification. L'initiative Shan-Shui, lancée en Chine en 2016, illustre cette politique, avec 75 projets à grande échelle visant à restaurer des écosystèmes variés, des montagnes aux estuaires côtiers, en intégrant les zones agricoles, urbaines et naturelles. Ces projets sont intégrés dans les plans nationaux d'aménagement du territoire et visent aussi le soutien aux industries locales et la promotion de la biodiversité : « Oujiang River Headwaters », dans la province de Zhejiang, combine les méthodes agricoles traditionnelles avec des connaissances scientifiques pour promouvoir une utilisation durable des terres. 

  • En Afrique, l'Union Africaine a lancé la Grande Muraille Verte en 2007, une initiative ambitieuse visant à restaurer 100 millions d'hectares de terres dégradées à travers 11 pays du Sahel d'ici 2030. Ce programme vise non seulement à prévenir la désertification mais aussi à promouvoir des paysages verts productifs pour soutenir les populations locales et protéger la biodiversité, avec des objectifs parallèles tels que la séquestration de 250 millions de tonnes de carbone et la création de 10 millions d'emplois. 

  • Enfin, au Costa Rica, la restauration des forêts a doublé la couverture forestière depuis les années 1980 tout en triplant le revenu national, grâce à des incitations économiques encourageant les propriétaires fonciers à préserver et restaurer les écosystèmes, notamment par la séquestration du carbone et la préservation des bassins versants. 


En Europe, le programme LIFE, lancé en 1992, a financé divers projets de restauration écologique sur le continent, comme le projet Living Bog en Irlande qui a restauré 3000 hectares de tourbières ou encore la préservation des pâturages semi-naturels en Lettonie à travers des pratiques agricoles innovantes. Enfin, la réintroduction d'espèces sauvages gagne également en popularité comme méthode de restauration via le programme associatif Rewilding Europe. 


3. Les objectifs et l’adoption du règlement


Si l’Union européenne n’est donc pas en reste des politiques de restauration de la nature, on observe que les autres pays déploient leur programme en parallèle d’objectifs d’accompagnement socio-économique des acteurs locaux : création d’emplois au Sahel, accompagnement des industries locales et des agriculteurs dans leurs pratiques en Chine, et incitations économiques aux propriétaires fonciers au Costa Rica. A l’inverse, les projets de l’UE ne mentionnent que des objectifs techniques :


  • L'article 1 du règlement impose aux vingt-sept États membres de l'UE de mettre en œuvre, d'ici à 2030, des mesures de restauration sur 20 % des terres et des espaces marins, mais uniquement dans les zones dont l'état est connu. Ce texte établit des objectifs juridiquement contraignants dans divers écosystèmes, notamment celui de restaurer au moins 30% de certains habitats en mauvais état : forêts, prairies, zones humides, rivières, lacs et fonds coralliens, puis 60% d’ici 2040 et 90% d’ici 2050, en priorisant les zones Natura 2000 jusqu'en 2030. Les États membres ont deux ans pour soumettre leur plan national de restauration à la Commission. Des exigences précises sont mentionnées sur ces milieux : remettre en eau 30 % des tourbières d'ici 2030 et 50 % d'ici 2050, améliorer la connaissance de la biodiversité des écosystèmes forestiers en mesurant la quantité de bois mort et le nombre d'espèces d'oiseaux,  planter trois milliards d'arbres supplémentaires d'ici 2030.


  • En ville, la surface des espaces verts urbains ne pourra pas diminuer sauf si elle est déjà supérieure à 45 %, et les États doivent prévenir toute dégradation dans les zones en bon état ou protégées.


  • Pour améliorer la biodiversité dans les écosystèmes agricoles, les pays de l’UE devront progresser sur deux des trois indicateurs suivants : l’indice des papillons de prairies ; la part des terres agricoles présentant des particularités topographiques [4] à haute diversité ; le stock de carbone organique dans les sols cultivés. Les pays doivent également prendre des mesures visant à augmenter l’indice des oiseaux communs des milieux agricoles, indicateurs de l’état général de la biodiversité. Toutefois, un "frein d'urgence" peut être déclenché par la Commission européenne pour une durée d'un an en cas de menaces pour la sécurité alimentaire.


  • Le Conseil a introduit un nouvel article affirmant que les projets liés à l'énergie renouvelable et leur infrastructure sont considérés d'intérêt public supérieur, permettant ainsi des dérogations aux obligations d'amélioration continue et de non détérioration. Ces projets ne seront plus nécessairement contraints de prouver l'absence de solutions alternatives moins nuisibles : les Etats membres pourront les en exempter à condition qu'une évaluation environnementale stratégique soit effectuée. Les projets de défense nationale bénéficient également de cette présomption d'intérêt public supérieur, mais les États doivent atténuer les impacts sur les habitats lors de l'application de cette exemption.


L'adoption du règlement sur la restauration de la nature a été incertaine. Le règlement prévoit en effet la restauration de 30 % des tourbières drainées utilisées en agriculture d'ici 2030, ce qui inquiète certains syndicats agricoles européens comme le Copa-Cogeca. L’objectif indicatif d'extension de zones à haute diversité sur 10 % des terres agricoles a, lui, été supprimé tôt dans les négociations, entre autres assouplissements. Au Conseil, une majorité a peiné à se dessiner, alors que certains pays s’alarmaient notamment de nouvelles charges pour les agriculteurs, d’entraves pour le secteur de la sylviculture des pays scandinaves ou d’ingérences accrues de l’UE. C’est finalement le vote de l’Autriche qui a permis de faire changer la balance. 


4. Mise en place de Restore et limites : vers un modèle économique plus incitatif et une attention sur les fonctions écologiques des sols 


Financer les manques à gagner : un modèle économique à consolider. 


Si la restauration apparaît largement rentable à moyen/long terme [5], à court terme, des investissements financiers et des coûts d’opportunité doivent être engagés par les gestionnaires du sol et des ressources naturelles. Ces impacts économiques toucheront principalement les agriculteurs, les propriétaires forestiers ou les pêcheurs lors de leur transition vers des pratiques plus durables. Les bénéfices financiers - outre les coûts évités - retomberont à l’inverse sur d’autres activités qui profiteront par exemple de la remise en eau des tourbières, comme le tourisme. S’il existe une rente libérée par ces actions de renaturation : meilleure filtration de l’eau, réduction des incendies, captation naturelle de Co2, et qu’elle est apparemment chiffrable, elle doit revenir aux personnes qui portent l’effort du changement. Par comparaison, les impacts économiques de la réduction des produits phytosanitaires ont des coûts associés : afin d’adopter de nouveaux systèmes de production; dus aux diminutions de rendement ainsi qu'aux difficultés de valorisation des cultures de diversification. En France selon la Cour des comptes, les financements publics associés à cette réduction (subventions, crédits d’impôts, etc.) ont été estimés à 800 millions d’euros entre 2009 et 2021, ne couvrant que 10% du produit brut, ce qui ne permet pas de compenser les pertes exceptionnelles subies certaines années. De plus, les subventions, principalement issues de la Politique Agricole Commune, sont jugées peu incitatives au changement par la plupart des agriculteurs (Lassalas et al., 2013). 


Ces pertes dues par exemple à la remise en eau des tourbières agricoles devraient être à l’avenir atténuées par des financements de l’UE et d’autres sources étatiques (incitations gouvernementales et achats de services écosystémiques) : dans un an, un rapport fournira une vue d'ensemble des ressources financières disponibles au niveau de l'UE. En attendant, un éventail de fonds de l’Union européenne (Feder, Feader, Feampa, programme Life, et PAC) est disponible, tandis que l'adoption du règlement sur la Taxonomie verte [6] devrait faciliter une augmentation des investissements privés. Le règlement comporte donc actuellement des limites substantielles, notamment un manque d'incitatifs clairs pour les agriculteurs, pêcheurs et sylviculteurs, ce qui contraste avec le programme LIFE doté de 5,4 milliards d'euros pour la période 2021-2027. Ce déséquilibre financier rend le règlement plus punitif que motivant pour les acteurs concernés. 


Intégrer les fonctions écologiques, intégrer les sols


Une critique définitionnelle du règlement réside dans l'absence de distinction entre restauration et refonctionnalisation des écosystèmes. Une approche basée sur les fonctions écologiques pourrait offrir une perspective plus holistique et faciliter le financement de certaines bonnes pratiques via l’étude des différentes fonctions. En outre, les objectifs du règlement manquent de précision quant aux résultats attendus, se limitant à la mise en place de mesures de restauration sans spécifier les résultats concrets à atteindre.


Enfin, le cadre réglementaire envisagé concerne les autorités publiques des échelles nationale, régionale et locale, qui joueront un rôle crucial dans la cartographie, l’évaluation et la planification des écosystèmes ainsi que dans le suivi des programmes de restauration. Une deuxième phase du règlement consistera donc à établir des objectifs et des références supplémentaires pour les écosystèmes où les données et les mécanismes de surveillance sont encore en développement. Deux indicateurs clés de suivi seront utilisés : les actions de restauration et de rétablissement d’entreprises par les États membres pour régénérer les écosystèmes, ainsi que l’état de conservation de ces écosystèmes au niveau national ou régional, comparé aux niveaux de référence pertinents pour chaque écosystème concerné. Nous préconisons qu’un indicateur de santé des sols soit joint aux indicateurs de suivi, notamment dans l’évaluation du bon état de conservation des espaces, contrôlé via des agences territoriales comme  par exemple les Agences de l’eau. Rappelons qu’une directive européenne sur la surveillance et la résilience des sols est en préparation - la nouvelle loi obligera les États membres à surveiller puis à évaluer l’état de tous les sols de leur territoire - peut-être des liens pourraient être faits entre ces données et l’évaluation du bon état de restauration et de conservation des écosystèmes ? 






[1] J. M. R. Benayas, A. C. Newton, A. Diaz, and J. M. Bullock (2009),  Enhancement of Biodiversity and Ecosystem Services by Ecological Restoration: A Meta-Analysis. ; Science 325, 1121-1124




{4] “Les particularités topographiques sont des éléments pérennes du paysage (haies, bosquets, mares). Ces milieux semi-naturels, essentiels à la mise en œuvre d’une politique de développement durable, constituent des habitats, des zones de transition et des milieux de déplacement favorables à la diversité des espèces végétales et animales” selon le Ministère de l’agriculture et de l’alimentation, Fiche conditionnalité 2021 – Fiche BCAE VII – Maintien des particularités topographiques.


[5] Un nouveau rapport “Revitaliser les paysages européens” co-rédigé par une coalition de 19 organisations environnementales a tenté d’estimer les bénéfices financiers de la restauration de la nature à grande échelle via un concept d'investissement appelé "Landscape Finance" : pour divers types d'écosystèmes, tels que les zones humides, les avantages monétisés comme le stockage du carbone dépassent déjà les coûts estimés de restauration. En intégrant les estimations d'autres services écosystémiques, les bénéfices nets à moyen termes sont encore plus significatifs : restaurer des tourbières, des marais, des forêts, des landes, des prairies, des cours d’eau, des lacs, des habitats alluviaux et des zones humides côtières crée un bénéfice estimé à environ 1 860 milliards d’euros, pour un coût estimé à environ 154 milliards d’euros.


[6] Le Règlement "Taxonomie" a été adopté par l'Union européenne (UE) en 2020

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